Sale temps, par Lou Jan

27 juillet 2015 par Lodael

illustration Jean-Félix LYON

illustration Jean-Félix LYON

Voici l’une de nos premières acquisitions des Imaginales 2015. Le jeudi après-midi, beaucoup d’auteurs n’étaient pas encore arrivés, le public assez épars, et nous déambulions dans les allées pour faire un tour de reconnaissance, lorsque nous avons été arrêtés dans notre élan par une jeune femme à l’allure souriante et dynamique : « Si vous pensez que vous n’avez jamais le temps, ce livre est fait pour vous ! ». Elle nous explique qu’en nous voyant avec un bébé, elle s’est dit que, nous aussi, nous devons avoir le sentiment de courir après le temps. Ce qui est assez vrai, bien que nous nous efforcions de relativiser et de prendre les choses comme elles viennent. En bref, nous sommes très réceptifs au thème de son roman, qui dénonce, justement, cette course effrénée au temps et à la productivité imposée par notre société.

Le roman débute avec Olgan, un champion de ski ayant un don particulier, celui d’arrêter le temps. Chose qui est fort pratique pour truquer habilement les résultats de ses courses et gagner les quelques centièmes de secondes nécessaires à la victoire. Dès le premier abord, Olgan est fortement antipathique. Lâche et sans volonté, il est miné par le sentiment d’être un imposteur et, qui plus est, un obsédé et un violeur, mais sans avoir le courage de s’arrêter, drogué par la toute-puissance que lui procure son don. En parallèle, nous découvrons l’histoire de Céraline, qui, elle, ne dispose pas d’assez de temps pour vivre : tous les après-midi, elle tombe dans d’inexplicables catatonies qui durent de plus en plus longtemps. Si Olgan vit dans le monde que nous connaissons, la réalité de Céraline est un Paris dystopique. Les progrès technologiques y ont permis aux gens d’être libérés des contingences quotidiennes, et à chacun d’avoir le nécessaire pour vivre convenablement. Chacun contribue à la société dans la mesure de ses capacités, tout en ayant le temps de profiter pleinement du présent. La compétition, la course à l’efficacité semblent y être absentes. Un paradis, une utopie, me direz-vous ? Peut-être. Pourtant, il ne me semble pas qu’il s’agisse d’une réalité si inaccessible. Il s’agit en effet, avant tout, d’un rapport au temps profondément différent du nôtre.

Tout commence à aller de travers dans le monde d’Olgan lorsque son don se généralise. Que se passerait-il si chacun pouvait arrêter la course des aiguilles à sa guise ? Si nous pouvions disposer de journées, non pas de 12, mais de 24 ou 36 heures ? Qui n’a jamais rêvé d’avoir plus de temps, pour ne plus être happé par la routine quotidienne de type métro-boulot-dodo ? Pour enfin pouvoir faire du sport, se mettre à la musique, passer du temps avec ses enfants, dormir pour être en forme, lire davantage… Tous ces désirs contradictoires, ces injonctions à être performant, cultivé, beau et heureux, à « assurer » sur tous les fronts, dans une société prompte à qualifier de perdant qui ne s’y soumet pas, qui peut se vanter d’y être indifférent ? Lou Jan prend le parti d’aller jusqu’au bout, et d’imaginer ce qui pourrait se passer si nous accédions à ce désir secret : disposer de plus de temps. Alors, à votre avis, serions-nous plus heureux ? Cela nous mènerait-il à une meilleure société ?

Ces questions sont abordées au travers de la dystopie proposée par Lou Jan, et de la quête de Céraline au travers des mondes pour remettre de l’ordre dans la course du temps. Si les personnages manquent parfois de nuance dans leur personnalité, si je n’ai pas totalement adhéré à la façon dont l’histoire se résout, cela importe, finalement, assez peu. Ce qui compte, c’est le chemin pour y parvenir, et les questions qui sont soulevées par la comparaison entre les réalités d’Olgan et de Céraline, si proches et pourtant si différentes. Lou Jan ne donne pas de leçons, mais propose de prendre du recul, de sortir un moment le nez du guidon et de prendre conscience de certains travers pour, peut-être, se réapproprier le cours du temps. Je n’ai qu’une petite remarque sur la forme, je ne suis pas adepte des phrases sans verbes, un peu trop nombreuses à mon goût. Mais j’admets que celles-ci peuvent donner un rythme particulier au récit et une sensation d’accélération temporelle qui correspondent bien au thème du roman. En conclusion, si vous pensez n’avoir jamais le temps de lire, prenez-le pour lire Sale temps. Une lecture agréable et divertissante, tout autant qu’une réflexion sur nos modes de vie, voilà qui vaut, assurément, que l’on prenne le temps de s’y attarder.

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