Fille des deux rives, par Ophélie Bruneau
23 décembre 2015 par Sylfraor
Certaines chroniques, on se dit que l’on veut les écrire, on dit à l’auteur que l’on va les écrire, mais elles ne sortent pas. On peut penser au manque de temps, à trop de boulot ou à bébé qui ne nous laisse pas faire. Dans le cas présent, nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord sur qui va écrire la chronique (et peut être aussi un peu le manque de temps, trop de boulot et le bébé). Après les négociations qui m’ont vu céder Fées, Weed et Guillotines à Lodael, je me lance enfin dans mon avis sur ce roman.
Fille des deux rives, c’est un roman de fantasy dont le personnage principal est Bodmaëlle, une jeune et brillante exorciste, rigide et austère. Un second personnage fera le contrepoint, Murello, qui est un jeune homme reconnu comme mage, brillant, charismatique, bien plus intéressé par le sexe opposé que par les responsabilités.
Point de départ de l’intrigue, une réception chez l’ambassadeur de Sovarion en Lorusie. En Lorusie est toléré l’usage de l’alter-essence, drogue permettant l’accès à un monde de l’autre côté du miroir selon ses consommateurs, et plusieurs convives s’y adonnent. Mais l’ambassadeur et ses concitoyens de Sovarion doivent respecter les règles de l’église sapientiste qui déclare hérétique tout moyen d’accéder à l’alter-monde. Le contexte se prête donc à des altercations et Murello, par ses déclarations, va compromettre Bodmaëlle et la renvoyer, bien qu’innocente, devant la justice de son ordre.
L’un des points forts du roman est la facilité avec laquelle le lecteur rapidement est plongé dans un univers original. En quelques paragraphes précis, les spécificités des deux peuples sont brossées, et les principes de la religion sapientiste sont évoqués pour permettre au lecteur de suivre sans peine l’intrigue, tout en éveillant suffisamment sa curiosité pour lui donner envie d’en découvrir davantage. L’histoire, assez linéaire, suit les péripéties des deux personnages. Bodmaëlle refuse d’avouer un crime dont elle est innocente, et va devoir trouver comment sortir de cette nasse. Murello se demande, quant à lui, pourquoi il se sent obligé de plaquer son confort pour chercher à corriger le tort qu’il a causé. Le déroulement reste très classique et ce n’est pas ce qui va différencier ce texte des autres, même si j’ai bien aimé la fin de roman où certains dénouements m’auront finalement pris de court.
Le style est simple, mais propre et efficace et très agréable à lire, permettant de tourner les pages rapidement et de découvrir la suite. Cela fait que jamais l’on ne s’ennuie malgré certains passages où l’intrigue évolue plus lentement. L’auteur décrit beaucoup dans certains passages, cela peut être un frein si vous aimez l’action à chaque ligne, mais cela reste tout à fait maîtrisé et sert beaucoup le contexte autour de l’intrigue.
Maintenant, venons à ce qui m’a vraiment plu dans ce texte. En effet, l’intrigue permet de voir se construire un univers dont les travers sont ce qui fait le sel de ce roman pour moi.
La vision de la religion sapientiste, pleine de dogmes et d’hypocrisie, sonne très juste. Elle s’acharne sur la plus innocente de ses ouailles tandis qu’elle pardonne aux prélats carriéristes. Elle prône l’amour et la compassion, mais aussi la transcendance divine à atteindre, alors qu’elle est dans les faits un pouvoir bassement politique. Ses cadres usent de ses dogmes à son avantage, en masquant ces éléments de vérité non conforme que nous ne saurions voir. En comparaison, les mages donnent une vision radicalement divergente de l’alter-monde, quasi scientifique, ce qui permet de se distancier des dogmes de façon encore plus efficace.
D’autres thèmes sont également abordés, au travers de personnages connexes, notamment autour de la place des femmes et de leur lutte pour choisir leur vie sur chacun de ses aspects. C’est tout ce qui est secondaire au récit proprement dit qui finalement rend le contenu beaucoup moins innocent qu’il n’y paraît.
En résumé, Fille des deux rives est un bon roman, écrit d’une plume précise et maîtrisée. Il emmène le lecteur dans les péripéties de ses héros, avec leur dose d’action et de rebondissements. Sous l’apparence de facilité procurée par le style simple et l’intrigue linéaire, ce roman est réellement original dans son univers et bien plus profond qu’on ne le croirait de prime abord.