La voie des oracles, tome 1, par Estelle Faye
9 mai 2015 par Lodael

Illustration Aurélien Police
Thya est une jeune romaine vivant dans une province gauloise, Aquitania, à une époque où l’Empire romain, devenu chrétien, est en pleine décadence et peine de plus en plus à repousser les invasions barbares qui se succèdent à ses frontières. Pour être la fille d’un célèbre général romain, Thya n’en appartient pas moins à l’ancien monde, celui des druides, des créatures des bois et des dieux anciens, celui qui lutte pour ne pas totalement sombrer dans l’oubli au profit de l’ordre chrétien. Car Thya est un oracle, raison pour laquelle elle est confinée à l’écart de Rome, où elle aurait couru le risque d’être dénoncée et brûlée pour sorcellerie… Pourtant, le jour où son père est grièvement blessé dans une embuscade, elle doit s’enfuir plutôt que de tomber dans les griffes de son frère prêt à tout pour devenir un personnage important à Rome. Elle doit partir, surtout, car ses visions lui indiquent qu’elle doit se rendre dans une lointaine cité des montagnes, Brog, afin de sauver la vie de son père. Commence alors un périple, un voyage initiatique où elle en apprendra plus sur ce monde auquel elle appartient, ses créatures bienveillantes ou maléfiques, sur ses propres dons et sur sa véritable histoire.
L’histoire est fluide et se lit rapidement et sans heurts. Il est aisé de se sentir proche de Thya et de ressentir ses sentiments et ses émotions. Au début, il s’agit principalement d’une folle inquiétude pour un père qu’elle vénère, mais au fur et à mesure qu’elle découvre le monde, ses sentiments se modifient. Elle s’attache à d’autres personnages, prend de la distance avec la Thya du monde romain, bien que soient ancrés en elle un sens moral élevé et une intransigeance sur ses valeurs. Elle est courageuse et déterminée, tout en gardant une certaine naïveté qui ne pourra que s’éroder au fil de ses aventures. Il est intéressant également de voir évoluer ses sentiments envers son compagnon de voyage, Enoch, un maquilleur qu’elle a tiré d’un mauvais pas au début de son périple. Celui-ci est un séducteur invétéré, un demi-barbare, qui rêve de voir sa naissance bâtarde oubliée et de faire fortune dans le monde romain. Excédée par le comportement folâtre et égocentrique de son compagnon, Thya devra modifier sa façon de le considérer au fil du temps, lui découvrant une profondeur insoupçonnée et des talents inattendus. Quant à Mettius, l’ancien légionnaire qui les accompagne et les protège, ses motivations profondes ne sont révélées que tardivement et l’éclairent d’un jour nouveau. Ces personnages, sans avoir une psychologie extrêmement complexe, sont suffisamment ambivalents pour être réalistes et attachants justement par leurs défauts et leurs faiblesses.
Ce que j’ai aimé dans la voie des Oracles est la découverte d’un monde et d’une époque assez méconnus, la fin de l’Empire romain et les invasions barbares. Il est évident que l’auteur a fait un travail fourni de documentation, qu’elle parvient à restituer progressivement, peignant par petites touches en arrière-plan du récit, décrivant une ambiance, un état d’esprit, plutôt que des faits bruts. Il est toujours intéressant de se plonger dans les époques que l’on nous présente comme sombres, afin de s’apercevoir que la réalité est inévitablement plus nuancée. Les populations souffrent des invasions, des pillages, les soldats romains peinent de plus en plus à se battre aux confins de l’empire dans de mauvaises conditions, mal payés et mal équipés, en sous-nombre. Tout cela contraste avec la vie oisive et décadente des patriciens, avec l’ordre ancien qui subsiste encore. Mais on entrevoit également un ordre nouveau, des peuples qui relèvent la tête et saisissent leur chance lorsque le tout-puissant empire desserre son emprise. Et, dans le roman, se mêlent à cela les éléments de magie du monde ancien, les dieux et créatures qui voient là leur dernière chance de ne pas disparaître définitivement.
La voie des oracles est un livre présenté comme un roman « jeunesse », et son format permet certainement à de jeunes lecteurs de se prendre très vite à l’histoire sans se perdre dans de multiples rebondissements ou dans une trop grande diversité de personnages. En effet, le récit est très linéaire puisque l’on suit globalement le petit groupe de trois voyageurs dans leur périple, avec assez peu de digressions pour que le fil se garde aisément. L’histoire est servie par une plume fluide et élégante, qui insuffle vie aux personnages et emmène le lecteur progressivement dans son monde. Moi qui ai plutôt tendance à privilégier les histoires longues aux trames complexes et les personnages à la psychologie tortueuse, j’ai pourtant aimé sans réserve ce livre et j’attends avec impatience de lire la suite. Je recommande sa lecture à toute personne aimant le fantastique ou les romans historiques, sans restriction d’âge. Je terminerai en disant que la nomination au prix Imaginales 2015 dans la catégorie jeunesse est amplement méritée, et que la couverture réalisée par Aurélien Police (lui aussi nominé dans la catégorie illustration) est absolument magnifique. Je souhaite donc à Estelle comme à Aurélien bonne chance, et rendez-vous à Épinal pour les résultats du prix !