Véridienne (récits du demi-loup, tome 1), par Chloé Chevalier

8 avril 2016 par Lodael

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Illustration: Melchior Ascaride

Parfois, je me dis que la rangée « coup de cœur » de ma bibliothèque ressemble de plus en plus à une bergerie. Je vais vous parler en effet de Véridienne, de Chloé Chevalier. Véridienne nous conte l’enfance et l’adolescence des princesses Malvane, de Véridienne, et Calvina des Eponas, deux régions d’un même royaume, en théorie, mais pratiquement indépendantes. Le royaume du demi-loup semble hors du temps, comme pris dans la pesanteur d’un après-midi d’été qui s’étire indéfiniment. Un après-midi qui semble ne jamais devoir finir, et pourtant dans le souffle chaud du vent se distingue déjà la possibilité de l’automne, dans les feuilles vertes se devinent les tons rouges et jaunes à venir, et, si l’on ferme les yeux en croyant très fort que cela durera toujours, ce n’est pas pour autant que l’hiver inexorable ne balayera pas tout.

Dans le royaume du Demi-loup, la coutume veut qu’à la naissance d’un enfant royal, on cherche un autre enfant parmi le peuple, né le lendemain. Celui-ci sera désormais « son miroir, son confident, son compagnon le plus proche, la moitié de son âme ». Les princesses Malvane et Calvina auraient dû être accompagnées chacune de leur Suivante. En l’occurrence, Malvane s’est retrouvée, par un concours de circonstances, dotée de deux Suivantes. Le livre nous emmène donc dans un huis clos en compagnie de cinq adolescentes sans repères, convaincues de leur puissance et incapables de se plier à des règles. Malheureusement, le roi semble incapable de sortir de son apathie provoquée par un mystérieux tourment intérieur pour imposer sa volonté à une troupe d’adolescentes rebelles. Et c’est ainsi l’on suit l’évolution et les péripéties de la vie de cour de cinq jeunes filles qui croient tout savoir, dédaignent l’éducation pour s’adonner à des Nuits de querelle, trompent l’ennui, découvrent l’amour, se font des serments, se mentent, se haïssent, bref, deviennent des adultes, des femmes habituées à voir le monde se plier à leur volonté.

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Le demi-loup de Véridienne

Tout cela serait sans conséquence s’il s’agissait d’adolescentes n’ayant d’autre pouvoir que celui de nuire à quelques servantes infortunées. Mais il s’agit là de tout l’espoir de Véridienne, de la nouvelle génération qui portera le royame. D’autant plus que l’on est sans nouvelles d’Aldemor, le frère de Malvane, parti guerroyer voilà treize ans dans les lointaines terres de l’Est. Mais voilà que les dangers rôdent, toujours à la lisière de l’histoire, mais plus prégnants au fur et à mesure que l’on avance dans le récit. D’une part, les tensions aux frontières et la guerre, lointaine, mais bien présente dans les esprits. D’autre part, un ennemi plus insidieux, mais ô combien mortel, l’épidémie de Preste Mort qui avance inexorablement. La légèreté des princesses et de leurs Suivantes se trouve ainsi étrangement mise en relief, et ce qui pourrait n’être que futile ou agaçant en devient tragique, parfois à la limite de l’oppressant. Et, lorsque, par un coup de théâtre, la cour semble reprendre vie et avoir l’espoir d’une ère nouvelle, ce n’est que pour mieux se trouver en face de la vérité sans fard. Alors, le royaume du demi-loup devra trouver la force de se transformer et de vaincre, ou bien succomber et disparaître à jamais.

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Le chat des Eponas

Chloé Chevalier nous livre un récit à plusieurs voix, sous la forme de mémoires et d’extraits de journaux des différents protagonistes. L’atmosphère intime est largement servie par la narration, qui dévoile par morceaux les intrigues vécues par les princesses et leurs Suivantes, alternant leurs points de vue et leurs sentiments.  Si l’on se prend bien vite à reconnaître le ton, la voix bien particulière de chaque narrateur, la lecture est rendue encore plus fluide par l’ajout, au début d’un paragraphe, du symbole associé au personnage pour signaler qu’il, ou elle, prend la parole. Ainsi, le loup, symbole de Véridienne, représente Nersès, l’une des deux Suivantes de Malvane ; le chat, qui symbolise les Eponas d’où sont issues Calvina et sa Suivante Lufthilde, indique que cette dernière prend la parole. Le récit alterne principalement entre Lufthilde et Nersès, dont le prologue indique qu’elles ont décidé d’écrire ensemble leurs mémoires. Mais d’autres voix s’en mêlent, sous la forme d’extraits de journaux ou de lettres qu’elles intercalent à leurs propres souvenirs. Ainsi trouve-t-on parfois des extraits du journal de Cathelle, deuxième Suivante de Calvina ou des mémoires d’Aldemor, le prince parti guerroyer dans les terres de l’Est.

Chloé Chevalier pose, dans ce premier tome, une voix bien à elle. Si l’on n’en sait pas encore beaucoup sur le royaume du demi-loup, ses personnages, variés, ont une vraie profondeur qui fait tout l’intérêt du récit. J’ai beaucoup aimé la coutume des Suivants, qui est le point de départ de toute l’intrigue, ainsi que la narration à voix multiples qui est magnifiquement menée. J’ai aussi immédiatement retrouvé dans ce roman l’influence de Robin Hobb. Dans la forme, avec une narration subjective, et des bribes de documents « historiques » enrichissant l’histoire du narrateur, ou des narratrices, en éclairant certains aspects de l’histoire du royaume. Dans le fond, avec l’atmosphère confinée, intime, d’un château où se forge un individu dans l’insouciance relative de la jeunesse, malgré des périls que l’on sent confusément se rapprocher. Et puis, il y a ce talent pour les mots, pour faire toucher du doigt à la fois l’intime et l’universel des sentiments humains sans en avoir l’air. J’ai été envoûtée, plongeant tout de suite dans cette ambiance feutrée, ne pouvant m’en arracher qu’à regret une fois le livre refermé. Chloé Chevalier retranscrit à merveille cette étrange atmosphère qui accompagne les fins de règnes, ce moment de calme avant la tempête. J’attends donc avec impatience de voir dans quelle sorte de tempête le second tome, Les terres de l’Est, va emmener nos héroïnes…