La voie des Oracles, tomes 2 et 3, par Estelle Faye

16 mai 2016 par Lodael

La voie des oracles

Tome 1: Thya. Illustration de couverture: Aurélien Police

Voici une chronique un peu particulière, qui m’a donné du fil à retordre. Je vous parlais il y a un an du premier tome de La voie des Oracles, Thya, où l’on suivait les aventures de Thya et Enoch dans un empire romain en déliquescence, aux confins de la Gaule et des territoires barbares. Dans ce monde où la religion chrétienne semblait prendre inéluctablement l’ascendant sur les anciennes croyances, Faunes, Ondines, dieux romains et celtes jetaient leurs dernières forces pour sauvegarder ce qu’ils pouvaient de leur ancien monde, en protégeant Thya, la dernière Oracle. J’ai attendu un an avant de lire le deuxième tome, et le troisième dans la foulée. Le choix de faire une seule chronique pour ces deux tomes s’est imposé à moi, notamment parce que l’actualité est à la sortie du tome 3 et que je voulais donc en parler tout de suite. Et puis, la structure même de la trilogie est telle qu’il est fort compliqué de parler du contenu du tome 3 sans faire de révélations qui gâcheraient l’histoire. En conséquence, puisque je ne vous dirai rien de la fin du tome 2 ni de l’histoire du tome 3, cette chronique est garantie sans « spoil » et peut s’adresser à ceux qui n’auraient pas lu le tome 2. Ces deux tomes sont de véritables voyages où des lieux mythiques se succèdent, et qui nous emmènent toujours plus loin à la suite de Thya. Laissez-moi vous donner un avant-goût des lieux et des créatures de rêves ou de cauchemars que vous y croiserez.

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Tome 2: Enoch. Illustration de couverture: Aurélien Police

Dans le second tome, Enoch, ce sont les parfums d’orient qui dominent. Nous traversons successivement Constantinople, la route de la soie, les palais d’Orient et les jardins de Samarcande ainsi que les nomades du désert. Dans ces lieux, nous croiserons des fées, djinns et autres esprits bienveillants ou non qui suivent les voyageurs sur la route. Des créatures plus maléfiques prendront vie dans des jardins en apparence luxuriants, où la beauté peut toujours cacher quelque mal ancien, prêt à se réveiller. Cette mythologie s’entremêle avec les divinités et autres créatures que nous avions déjà croisées dans le premier tome. Car, dans la quête de Thya, nulle créature, nul dieu ne peut se tenir à l’écart, et il faut choisir son camp. Alors, nous retrouvons Culsans, le dieu des portes, le Faune et l’Ondine, nous croisons Apollon et Dionysos, mais aussi Hécate, belle et dangereuse comme une nuit de pleine lune… J’ai apprécié ce voyage au cœur de l’Orient et de ses mythes. J’ai parfois regretté que le séjour de Thya et d’Enoch dans chacun de ces lieux soit si court, que l’on ne prenne pas plus de temps pour en explorer certains recoins, mais cela permet de maintenir un rythme haletant. Et l’on est vraiment tenus en haleine, car Estelle ne ménage aucun de ses personnages. Je dois tout de même dire que cela m’a même semblé trop, à un moment, comme si le sort s’acharnait tellement sur Thya et ses compagnons qu’il me semblait impossible d’en voir une issue. Et heureusement que j’avais le tome 3 sous la main pour enchaîner tout de suite !
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Dans le troisième et dernier tome, Aylus, deux mythologies reines s’affrontent. D’une part, la mythologie celte, celle des jardins éternels et des brumes d’Avalon, et d’autre part celle de Carthage, un culte de mort et de violence, celui du dieu Baal. Et nous retrouvons encore une fois Zeus, Hadès, Apollon et d’autres, qui s’affrontent au travers des simples mortels, dans une lutte sanglante digne de la guerre de Troie. Oui, il y a quelque chose de l’Iliade lorsque les dieux se mêlent ainsi aux mortels pour s’en servir comme pions sur l’échiquier de leurs ambitions. La titanesque lutte qui se déroule dans ce roman ne serait probablement pas reniée par Homère. L’Empire romain, pris au milieu de ces forces anciennes sans merci, peut-il perdurer ? Et que peut faire Thya, la dernière Oracle, pour mettre le cours du destin sur le bon chemin ? J’ai un gros coup de cœur pour ce tome trois. Parce qu’il réussit le tour de force de conclure magnifiquement la trilogie, avec la juste dose d’émotion, sans que l’on ne ressente de frustration, ce qui relève d’un exercice d’équilibriste hautement risqué. Et puis, il met en scène mes mythologies favorites et j’y ai retrouvé le goût de mes récits préférés, un peu des Dames du Lac, un peu de l’Iliade et de la Trahison des dieux, et beaucoup d’Estelle Faye.

Il faut bien le dire, il y a une atmosphère particulière qui se dégage de tous les livres d’Estelle, si différents qu’ils soient au premier abord. Chaque roman d’Estelle Faye est une véritable pièce de théâtre. Les héros incarnent des personnages qui parfois leur ressemblent, et parfois camouflent si bien leur être véritable qu’il est nécessaire de patiemment rassembler les indices éparpillés dans le roman pour les toucher du doigt. Ce goût des planches est peut-être plus visible dans Porcelaine, où l’on suit une troupe de théâtre itinérante dans la Chine ancienne. Mais que dire de Chett, le héros si troublant et atypique d’Un éclat de givre, celui dont on ne sait si la véritable personnalité se cache dans la chanteuse de cabaret, le baroudeur musclé, ou dans ses rêves enfouis ? Et l’on retrouve assurément de Chett dans Enoch, le maquilleur aux doigts agiles, qui se révèle tantôt un mage puissant, tantôt un dangereux et sombre guerrier, changeant de peau au fil des tomes. Il y a toujours cette façon de déguiser ses personnages, de surprendre le lecteur qui croirait les avoir cernés en changeant leur personnalité, ou même leur physique. Et puis, il y a cette faculté à mêler mythe et histoire, magie et réalité, comme si le monde n’était qu’une vaste pièce de théâtre où il ne tient qu’au spectateur de se laisser emporter, guider par le décor, les lumières vives et les costumes, et d’y croire… C’est la marque des grands écrivains que d’imposer, au fil des livres, une vision particulière et un style qui leur est propre, sans jamais paraître se répéter. Jusqu’à présent, Estelle a parfaitement réussi ce pari, dans des genres pourtant très différents, et j’espère bien continuer à explorer longtemps son univers, ou ses univers, avec autant de bonheur !