Bois d’ombre (le livre de l’énigme, tome 2), par Nathalie Dau

4 mars 2017 par Lodael

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Illustration de couverture : Melchior Ascaride

Après Source des tempêtesil me tardait de retrouver les aventures de Cerdric et Ceredawn, et surtout, le monde sombre et merveilleux qui les entoure. Si j’ai parfois du mal à me replonger tout de suite dans un univers, après avoir lu le tome précédent un an auparavant, cela n’a pas été le cas ici. Je me suis immergée dans l’histoire comme si j’avais quitté mes deux héros la veille, au seuil du Séminaire, alors qu’ils venaient d’achever leur périple dans les steppes nomades. Il y a comme cela des univers qui marquent les esprits durablement, qui vivent en nous bien après le livre fermé. Comme une évidence, j’ai retrouvé mes personnages, les différents clergés et leurs magies, ce monde beau et cruel où un peuple, les rives, sont réduits en esclavage car ils sont considérés comme inférieurs aux humains. Dans Bois d’ombre, fées, dragons et rives sont moins présents que précédemment : la Forêt Bleue et sa magie sauvage sont loin, et l’action se passe intégralement en zone urbaine, à Atilda, où se trouve le Séminaire.

Si le premier tome était plutôt centré sur Cerdric, le personnage principal de celui-ci est Ceredawn. Nous l’avions laissé aux portes du Séminaire alors qu’il se faisait emmener par Ninnos l’omniscient, le grand Maître qui le dirige. C’est avec un frisson d’angoisse que nous avions vu les lourdes portes se refermer sur lui tandis qu’il adressait un sourire confiant à Cerdric, nous avons avec celui-ci de ne pouvoir accompagner et protéger cet enfant. Car, déjà, le Séminaire se profilait comme une épreuve nécessaire mais dangereuse. Il faut dire que la dernière partie de Source des tempêtes donnait un aperçu des plus sombres d’Atilda, au travers des souffrances endurées par Arvrilith, un autre demi-frère de Ceredawn. Tous les deux sont les fils de la rive Ölinelle, mais, tandis que Ceredawn est le fruit de l’amour qu’elle portait à Kéral Asulen, le dernier mage bleu, Arvrilith est un rejeton non désiré, conçu alors qu’Ölinelle était l’esclave d’un puissant souverain. Arvrilith sera élevé à Atilda par les prêtres du Chaos, victime de toutes sortes de tortures qui en façonnèrent une sorte de double maléfique de Ceredawn. Quant au Séminaire lui-même, peu de choses en sont dévoilées dans le premier tome si ce n’est que les femmes en sont exclues, et qu’il se termine au bout de cinq ans par l’épreuve de Bois d’ombre, fatale à de nombreux candidats.

Ce second opus narre donc les cinq années passées par Ceredawn au Séminaire, et se conclut en apothéose. En alternance avec le récit du quotidien d’étudiant, des chapitres décrivent la vie que Cerdric mène dans la ville d’Atilda. En effet, s’il ne peut franchir les portes du Séminaire, il doit payer le montant des études de son frère et l’héberger lors des jours de fête et des congés d’été. Le roman est donc rythmé par ces différentes phases de la vie de Ceredawn et par l’attente de Cerdric, ses efforts pour se construire une nouvelle existence et surtout pour donner le meilleur à son frère. Il est assez touchant de voir que Cerdric, malgré son passé de bréon, ses talents indéniables qui lui permettent de se faire une place respectée en ville, ne peut concevoir sa vie autrement qu’autour de son frère. Or, Ceredawn grandit, et s’il a toujours été un peu mystérieux pour un réfractaire à la magie, il devient également plus affirmé dans son tempérament. Cerdric, dans ses efforts maladroits pour garder une relation privilégiée avec Ceredawn, a parfois du mal à l’accepter. Et puis, il y a bien sûr le côté inaccessible de tout ce que Ceredawn vit, ou plutôt de ce qu’il endure, et que Cerdric ne peut ou ne veut pas comprendre…

J’ai adoré l’ambiance de la première année du Séminaire, la découverte de camarades venant de différents royaumes et d’obédiences diverses. Les noms des promotions, basés sur des arbres, sont très poétiques. Dès le début, Ceredawn est en butte aux préjugés des professeurs comme des élèves, de par son physique de semi-rive. Il ressemble trop aux esclaves sexuels parqués dans un bâtiment à l’écart pour ne pas créer de gêne. Son existence même pose problème, puisque l’union avec les rives est censée être inféconde, et ses pouvoirs magiques le rendent encore plus étrange. Pourtant, Ceredawn trouve assez rapidement des soutiens, noue de vraies amitiés, et impressionne les autres par son courage et l’ampleur de son drac. Les thèmes de l’acceptation de la différence, de l’exclusion, de l’injustice sont abordés avec justesse et délicatesse. Mais Ceredawn, non content d’attirer les inimitiés par sa seule existence, est également un rebelle, trop insolent, trop sûr de lui pour que les choses lui soient rendues faciles. Et puis, dans l’ombre, Arvrilith, dont la noirceur répond à la lumière de Ceredawn, tire des ficelles inquiétantes. Il manœuvre autant pour protéger son frère de certains dangers que pour pousser Ninnos à briser Ceredawn comme lui-même l’a été…

Nathalie Dau n’est pas du genre à épargner ses personnages, et Ceredawn lui-même, ou peut-être surtout lui, ne peut y échapper. Alors oui, il y a des scènes assez dures à lire, même si l’écriture reste toujours juste pour évoquer sans montrer, dire sans s’attarder, et ne jamais se complaire dans la surenchère. Il faut toute la force de caractère de Ceredawn, ses pouvoirs, sa lumière qui brille malgré tout, pour que le lecteur en empathie totale avec lui traverse ces épreuves. Il faut se rappeler que Ceredawn n’est pas juste un enfant, il abrite également les esprits des mages bleus défunts. Certes, ceux-là sont absents quand il aurait besoin de leur soutien. Mais, comme il le dit lui-même, lorsqu’on a un drac d’une telle puissance, on grandit plus vite. Il se sent plus âgé que son corps d’enfant de dix, onze ans. Tout cela n’excuse rien, ne diminue ni la gravité de ce qu’il subit ni la souffrance qu’il en conçoit. Pourtant, cela le rend plus fort, plus à même de résister, et nous, lecteurs immergés à ses côtés, par la même occasion. Non, ce livre n’est pas sombre, du moins pas plus que ne l’est le monde dans lequel nous évoluons. Et derrière Ceredawn, on sent parfois quelque chose de plus personnel, l’écho d’expériences vécues qui ont laissé leur empreinte.

Les thèmes des inégalités, de l’injustice, de la différence, sont présents en filigrane dans tous les aspects du récit. Qu’il s’agisse de l’esclavage des rives et de la haine aveugle qu’ils font naître sans raison, de l’injustice à laquelle Ceredawn est confronté en raison de son origine, ou de la discrimination des ordres ecclésiastiques à l’égard des femmes douées de magie, Nathalie Dau arrive chaque fois à montrer l’absurdité des préjugés, à mettre le doigt sur toutes les formes d’oppression. Là où réside la vraie grandeur de l’écrivain, c’est dans la nuance instillée en toute chose. Ceredawn, dans sa naïveté, cherche à redresser les torts et réparer les injustices, pour se heurter chaque fois à la réalité de la nature humaine. Tel Candide, il montre ainsi par contraste les absurdités et les bassesses du monde qui l’entoure, mais apprend aussi, à ses dépens, qu’il n’est pas si simple de vouloir faire le bien.

Bois d’ombre réalise toutes les promesses que Source des tempêtes avait semées. Si vous avez aimé le premier tome, vous adorerez vous plonger dans cette suite toute en contrastes, lumière et noirceur mêlées. Les personnages, Cerdric, Ceredawn, Arvrilith, prennent de l’ampleur et gagnent encore en maturité. Le système de magie, les obédiences de la Loi et du Chaos, le Séminaire, sont au cœur de ce roman et donnent davantage d’épaisseur à un univers déjà riche. Il s’agit là d’une œuvre profonde et universelle, qui se lit à plusieurs niveaux. Le récit, mené avec maîtrise, m’a tenue éveillée bien des nuits. Mais je sais que son effet se prolongera bien au-delà de la dernière page. Longtemps je marcherai aux côtés de Ceredawn, et visiterai Atilda dans mes songes. Ce monde existe, quelque part, et dans cette vie ou dans une autre, j’y reviendrai.