Un an dans les airs
11 janvier 2016 par Sylfraor
Pour une fois, je ne mets pas le nom de l’auteur dans le titre du billet. Tout simplement parce que le titre serait alors beaucoup trop long vu le nombre de mains qui ont travaillé à cette œuvre. Les illustrations sont de Nicolas Fructus, quatre plumes officient pour quatre narrateurs différents : Raphaël Albert, Jeanne-A Debats, Raphaël Granier de Cassagnac et Johan Heliot. Ces plumes et pinceaux ont produit un roman graphique en grand format.
L’ouvrage est une publication très différée des événements vécus (au sens uchronique) par des voyageurs célèbres. Il s’agit de l’assemblage annoté par Philippe Daryl des carnets de trois autres voyageurs avec qui il entreprit un périple dans les airs. Ces voyageurs sont l’illustre Jules Verne, le moins connu, mais très notable Nadar et enfin Julie Servadac. Pendant près d’un an, ces quatre personnes vont vivre à bord d’une cité volante, plus légère que l’air, et se confronter à ses habitants. Dans cette période, ils verront l’évolution d’une utopie très inspirée à la fois de la science, avérée ou tel que Verne aimait à l’anticiper, et par le contexte social de la France et du monde englués d’avant la commune de Paris. Beaucoup de rencontres, un long voyage et des évènements à rapporter. Heureusement, chacun des passagers tenait des carnets de notes et Nadar usait de son art de la photographie pour laisser, bien des années après, la matière à ce récit.
C’est une maquette superbe, mêlant les textes de chacun des auteurs (un auteur par personnage du quatuor) et les illustrations de Nicolas Fructus. Tout y est fait pour avoir l’air des Voyages Extraordinaires de Jules Verne et bien rendre l’image que l’on s’en faisait, ou bien que l’on s’en fera, car il est difficile de ne pas ouvrir un Jules Verne à la suite de cette lecture. C’est beau par la maquette, par la qualité des illustrations, par de petits détails comme l’altitude de la cité qui est dans la pliure des pages tout au long du voyage. Seul regret pour moi, la couverture, si elle est jolie, n’est pas dans le style que j’aurais attendu avec son vernis brillant qui fait pour le coup très 2010, loin des cartonnages Hetzel.
Concernant le contexte, je suis curieux de savoir qui sont le ou les fous qui ont fait la documentation nécessaire à la trame. En effet, c’est riche de détails sur l’œuvre de Jules Verne et ses personnages, sur le contexte historique de 1870, sur les protagonistes. L’histoire est un voyage uchronique d’un an de personnages connus et cela reste plus que plausible. On sent également la bonne connaissance des façons que Verne avait d’envisager la science, notamment sa vision positive de la fée bleue comme source infinie d’énergie.
Sur le récit lui-même, j’ai aimé la reprise d’éléments classiques de Verne, notamment du 20 000 lieues sous les mers qui est mis en abyme. Beaucoup de ses œuvres y sont évoquées puisqu’il s’agissait de faire un voyage lui fournissant de l’inspiration pour l’ensemble de sa carrière à venir (seuls quelques-uns de ses textes sont écrits en 1870 et moins encore sont publiés). Le style joue également dans l’immersion puisque tout est fait pour reprendre des tournures et du vocabulaire de cette période agitée, y compris ce qui était, chez Verne et d’autres, porteur du colonialisme ou du sexisme latent de cette époque. De plus, l’approche épistolaire (ou presque) permet de rapidement balayer un long périple, en maitrisant le rythme et en conservant bien quatre visions distinctes des évènements.
La question de ce qu’une utopie aurait pu être pour un groupe de savants et de mécènes de la fin du Second Empire est pertinente, avec beaucoup des soucis. L’égalitarisme qui propose des maitres et des factotums. Une société avec une seule langue (le Volapük !), mais avec les nationalismes toujours présents. On y trouve des questions de religions (voir d’athéisme), de gestion des ressources, de l’importance de l’entrecôte contre les légumistes (le mot est dans le livre !) qui sont plus drôles à lire ici que sur les murs de Facebook.
Sans dévoiler plus de choses, c’est un livre dont le contenu est magnifique, tant par l’image que par ses textes. Le récit est prenant, la structure est maitrisée, laissant la place aux quatre plumes sans perdre en cohérence, et le tableau de cette ville flottante est magnifique, à la fois par son esthétique et son invitation aux voyages (extraordinaires bien sûr).