Ceux qui grattent la terre, par Patrick ERIS

20 mars 2016 par Sylfraor

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Illustration de Philippe Jozelon

Après deux années de chômage noir, d’une vie déprimée et miséreuse, après avoir perdu tous les liens sociaux ou presque, Karin passe enfin un entretien d’embauche. La place que beaucoup doivent vouloir puisqu’il s’agit d’être la secrétaire particulière du célèbre herr Schöringen, grand spécialiste de l’ésotérique et du surnaturel, riche d’avoir vendu autant d’écrits à succès sur ce thème. Toutefois, elle obtient cette place et démarre une nouvelle vie qui semble idyllique. Bon, certes, elle s’est mise à faire un étrange cauchemar depuis qu’elle habite dans le magnifique appartement de Montmartre, mais sinon, elle apprend, elle s’épanouit. Bien sûr, elle entend des histoires étranges d’un homme en noir qui rôde dans le quartier, mais elle n’est pas folle, elle sait que tout ceci n’est que des légendes urbaines.

 

Après un prologue superbe dont j’ai eu la chance d’être auditeur lors d’une lecture-concert des Deep Ones, le texte va se dérouler du point de vue de Karin. Il se passe en deux actes, l’un sera parisien et l’autre va plonger dans la campagne du Jura.
Le déroulement de l’histoire est lent, permettant de bien se mettre dans la peau du personnage de Karin et de découvrir avec elle les éléments du décor. Un mystérieux inner sanctum dans lequel son employeur, cloué dans son fauteuil roulant, reste en quasi-permanence. Un Paris et ses mystères actuels et passés. Un manoir retiré du Jura sous les neiges. L’intrigue n’avance que doucement, pour ne pas gâcher le temps des révélations, mais en posant ses jalons, surtout ces petits grattements à la limite entre le rêve et l’éveil qui vont harceler Karin.

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Auteur prologuant en musique

Le rythme lent est porté par une écriture très rodée, maitrisée, qui donne des informations quand le souhaite l’auteur sans que celles-ci soient évidentes, qui distille des petits riens sur le décor, au fil des envies, donnant du grain à moudre même lorsqu’il ne se passe objectivement rien à part le quotidien de Karin. Par exemple un petit passage sur le Sacré-Cœur et sur la commune de Paris donne matière au lieu et permet au passage d’égratigner un peu la vie bourgeoise qui serait presque encensée par Karin à ce moment-là.

La transition vers le deuxième acte relance le rythme avec turbulences avant de revenir au calme. Cette transition parvient à remettre le fantastique dans le cœur des préoccupations sans pour autant risquer de trop en révéler. Il relance aussi le lecteur qui aurait pu éventuellement trouver le temps long lorsque Karin bronzait sur les terrasses de café avant de retourner classer de la documentation pour son mystérieux patron.

La dernière page enfin tournée, l’intrigue s’avère conforme à l’idée du fantastique teinté d’horreur, usant avec brio des ingrédients du genre, distillant une ambiance toujours dosée. Pas de sanguinolent, pas de sordide, juste une lente avancée dans la peur du cauchemar, dans l’insomnie créée par la peur de dormir. Si le contenu des révélations ne refonde pas le genre, il conclut une œuvre typique, mais non prévisible, qui parvient à faire du classique sans jamais être dans le cliché, à poser une intrigue simple sans que cela soit frustrant. J’ai beaucoup apprécié cette histoire qui a en plus la qualité de ne pas se dérouler au début du XXe siècle ni sur la Côte Est, mais bien dans le cadre de Paris au début de notre siècle.

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