La stratégie des As, par Damien Snyers

28 septembre 2016 par Lodael

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Illustration de couverture: Dogan OZTEL

Voilà un livre que j’ai lu il y a déjà plusieurs mois, et pourtant, en reprenant les chroniques sur ce blog après une longue pause, il m’est apparu comme une évidence que je devais en parler. La stratégie des As se lit, non, se dévore tel un Arsène Lupin par exemple. Imaginez une histoire de braquage. Pas vraiment dans le style d’Ocean’s Eleven. Quitte à avoir une référence cinématographique, ce serait plutôt Arnaque, Crime et Botanique ou Snatch. Vous voyez ? Le genre d’intrigue mettant en scène une équipe composée de personnages hauts en couleur, mauvais garçons mais attachants, un peu paumés, un peu rêveurs, voleurs et escrocs sans être foncièrement méchants… Imaginez maintenant un projet de cambriolage qui peut mal tourner à tout moment, pour la joie du lecteur qui attend avec impatience de voir par quelles pirouettes inattendues les héros comptent retomber sur leur pied. Une aventure pleine d’humour et de situations rocambolesques. Vous visualisez ? Bien. Maintenant, transposez le tout dans un univers Steampunk mâtiné de fantasy (ou l’inverse), une ville sous globe où se mêlent elfes, humains, trolls et magiciens. Le décor est planté.

James est un elfe, Élise une demi-elfe — ou demi-humaine, question de point de vue — et Jorg un troll. Ils se sont rencontrés en prison, où une fâcheuse habitude de délester les bourgeois de quelques écus, en usant de différentes tactiques d’une légalité plus que douteuse, les a conduits. Du moins, pour James et Élise. Jorg, lui, a surtout le tort d’être un troll, ce qui est très mal vu dans cette ville, certes cosmopolite, mais où les races sont très hiérarchisées et les préjugés sont légion. James, Élise et Jorg vont s’associer en sortant de prison, pour monter diverses arnaques, triches et filouteries de faible envergure. Leur routine bien établie bascule le jour où ils se font repérer dans un bar par le serviteur d’un vieux monsieur riche, très riche, et malade, très malade… qui leur fait une proposition qu’ils ne peuvent refuser. Ni rater. Littéralement, en fait, puisque James se voit remettre un bracelet qu’il ne peut ôter, et qui l’éparpillera en mille morceaux s’ils échouent ou trahissent. La récompense, cependant, est à la hauteur de l’enjeu. Le défi consiste ni plus ni moins qu’à organiser le casse du siècle : voler le Rein d’Isis, une pierre précieuse unique aux vertus supposées miraculeuses…

Mais attardons-nous plutôt sur nos cambrioleurs. Des trois, James est celui dont la part d’ombre est la plus grande. Le seul, peut-être, capable de tuer de sang-froid lorsque les circonstances l’exigent. Beau parleur, dragueur, plus ou moins dénué de scrupules, philosophe à ses heures, égocentrique, roublard et maître de l’entourloupe, il est le meneur du groupe. Sa devise ? « Pour gagner aux échecs, ma meilleure tactique était d’avoir quatre As dans ma manche ». Il est le narrateur de l’histoire, ce qui la rend assez truculente, car sa répartie et ses réflexions sur le monde pimentent agréablement le récit.  Élise, par contraste, paraît plus distante, peut-être parce que le lecteur n’a pas accès à ses pensées. Elle est plus réservée, très indépendante, meurtrie d’avoir été rejetée toute sa vie pour sa condition de « demie». Ses fréquentes chamailleries avec James ne peuvent masquer une grande complicité et un réel attachement l’un pour l’autre. Enfin, Jorg a, je l’avoue, ma préférence. J’ai eu un coup de cœur pour ce troll que tout le monde prend pour une brute sans cervelle, mais qui ne rêve que d’une « petiote maison à la montagne » avec des vaches. Il n’a peut-être pas la même intelligence que les autres, parle d’une charmante façon enfantine, mais fait preuve par moments d’intuitions inattendues. Faisant usage de sa force malgré lui, incompris de tous, il cache un esprit empathique, aspirant au calme et aux choses simples, bref, un être fondamentalement gentil. Le colosse au grand cœur, à l’image de Lennie dans Des souris et hommes. 

En résumé, si vous prenez un groupe d’arnaqueurs un peu losers mais débrouillards, et que vous les lancez dans le casse du siècle, vous obtenez une intrigue enlevée qui se lit en un après-midi. Ce roman tient en haleine le lecteur tout en le réjouissant par le comique de certaines situations et la gouaille de ses personnages. Les héros sont contrastés, drôles et attachants. Tout en gardant un ton léger et truculent, ils portent un message de tolérance et d’acceptation de l’autre et de ses différences. En bref, un roman très réussi à mettre entre toutes les mains, amateurs de fantasy ou non !